C’est du premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir accédé à l’indépendance, il y a cinquante-deux ans, que nous vient la première bonne surprise de cette année 2009. Un chef d’État, John Kufuor, qui se retire sagement du pouvoir à l’issue de ses deux mandats, sans avoir jamais songé à modifier la Constitution. Deux candidats, John Atta-Mills et Nana Akufo-Addo, tous deux juristes, engagés dans une compétition acharnée mais qui soldent leurs comptes dans les urnes sous la supervision d’une commission électorale irréprochable. Un scrutin qui se joue à quarante mille voix près (sur neuf millions de votants). Un taux de participation record de 73 %. Une administration neutre. Un vaincu qui, tout en reconnaissant sa défaite, choisit de contester en partie les résultats auprès des tribunaux plutôt que dans la rue et se prépare à jouer le rôle d’opposant qui est désormais le sien. Un vainqueur qui tend aussitôt la main à son concurrent et fait tout pour rassurer les partisans de ce dernier. Ce n’est pas en Suède que se déroule ce conte de fées, mais au Ghana. Un pays au passé tourmenté, qui a connu son lot de coups d’État dont deux furent l’œuvre de Jerry John Rawlings, celui-là même dont la prise du pouvoir il y a trente ans s’accompagna de l’exécution sanglante de huit généraux et celui-là même à qui l’on accorde aujourd’hui le crédit d’avoir instauré une vraie culture démocratique parmi ses concitoyens.
Pour tous ceux qui, dans le monde des Blancs, estiment encore que les élections sur le continent sont par définition truquées, frauduleuses et ethnicisées, rituels politiques purement formels, luxes inutiles, bouffonneries de rois nègres et tragiques illustrations de l’incapacité pathologique des sociétés africaines à assimiler la modernité politique, bref pour tous ceux qui partagent la lettre et l’esprit d’un certain « discours de Dakar », la leçon est cinglante. Le modèle ghanéen, avec son électorat policé, son alternance banalisée, son leadership de qualité, ses partis structurés, son « marché » politique libre et concurrentiel, démontre, s’il en était besoin, que le communautarisme et le clientélisme, toujours très présents, n’empêchent ni l’expression d’un vote d’opinion ni le bon fonctionnement de la démocratie électorale. Dans ce pays où, en outre, l’économie marche plutôt bien – 6 % de taux de croissance et d’intéressantes perspectives pétrolières à partir de 2010 –, voter est un acte qui a du sens, parce que connecté à la réalité et susceptible d’avoir un impact sur la vie quotidienne.
Ce rare exercice d’afro-optimisme fera-t-il école en 2009 ? On pense à la Côte d’Ivoire voisine bien sûr, mais aussi aux prochaines échéances présidentielles au Congo, en Angola ou au Niger. On songe également aux pays du Maghreb, à qui le Ghana administre une belle leçon de maturité et d’intelligence. Au Zimbabwe, qui est un peu le contre-exemple. Point d’illusions excessives toutefois. La dévolution du pouvoir par les urnes n’est pas, on le sait, la règle absolue sur le continent. De Nouakchott à Conakry, le déblocage de situations tendues à la tête de l’État se fait encore sur le mode de la violence présentée comme une rectification nécessaire des erreurs induites par un multipartisme perverti. Paradoxe – ou régression – suprême, on a même vu en Mauritanie, et surtout en Guinée, des partis d’opposition démocratique apporter leur soutien à des officiers putschistes, comme s’ils avaient désespéré de conquérir un jour le pouvoir par le biais du fonctionnement normal des institutions, comme si la fraude et la déviance devaient éternellement faire obstacle à la tenue d’élections réellement compétitives. Quant au nord du Sahara, séparé du sud par un océan géopolitique et culturel, là où les paris sont inutiles à l’instar des courses à un seul cheval, les pouvoirs en place n’ont nul besoin de tricher, si ce n’est sur le taux de participation. C’est dire donc s’il convient de se méfier des contagions faciles. On a vu les conditions qui, mises ensemble au même moment, ont présidé au « miracle » ghanéen. Il n’est pas sûr, hélas, qu’on les trouve réunies ailleurs. Sauf à espérer que, comme en 1957, quand le pays de Nkrumah ouvrit le bal des indépendances, les autres suivent son exemple.
Jeune Afrique- Par : François Soudan
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